Le colonel Printermont ne s’attarda pas longtemps à Ravadjah pour y jouir des fruits de sa victoire. Il laissa dans la citadelle une garnison anglaise sous les ordres du capitaine Fordyce et renforcée des prisonniers de la première expédition, qui avaient été mis immédiatement en liberté.
Le colonel n’avait pas de temps à perdre. Il lui restait deux tâches difficiles à accomplir : arracher miss Emmy au pouvoir des éléphants qui la tenaient captive et secourir le lieutenant Dalcester, dont on n’avait plus de nouvelles depuis longtemps et qui, peut-être bloqué par la seconde armée du radjah, avait déjà succombé aux privations et aux coups de l’ennemi.
– Par où allez-vous commencer ? lui demanda M. Montbrichard.
– La conduite que j’ai à tenir m’est toute tracée. Mon devoir n’est pas douteux. Je suis chef d’expédition avant d’être père ; je vais tout d’abord aller délivrer le lieutenant Dalcester à Malingou, ou le venger s’il a succombé.
Les préparatifs du départ furent rapidement menés. Trois jours à peine après la prise de Ravadjah, l’expédition se remettait de nouveau en marche. Mais elle était à peine aux deux tiers de la route que l’on entendit distinctement la voix sourde du canon et les détonations rapides des carabines à répétition.
Entraînés par le colonel, les soldats anglais firent le reste de la route à marche forcée. Mais, arrivés sur une hauteur qui n’était pas éloignée de la forteresse de plus d’un mille anglais, ils furent forcés de s’arrêter en présence d’un horrible et sublime spectacle, d’un tableau presque inouï.
Au milieu de la plaine, les Anglais, formés en carré, résistaient, comme un mur inébranlable, aux assauts d’une immense multitude de cavaliers dont les chevaux venaient se piquer les naseaux et se fendre le poitrail aux inébranlables baïonnettes anglaises. Les Anglais allaient céder pourtant, lorsque, du côté de la forêt, un troupeau de peut-être dix mille éléphants sauvages était accouru avec la furie soudaine et dévastatrice d’une trombe ou d’un raz de marée, broyant les arbres sur son passage, écrasant tout, comme en proie à une ivresse folle. À leur tête, comme s’il les eût commandés, s’avançait un éléphant richement caparaçonné. Dans le haoudah qu’il portait se trouvaient deux Européens et un indigène.
Sir John saisit précipitamment sa longue vue et poussa un cri de stupeur. Il venait de reconnaître miss Emmy, montée sur le dos du fidèle Bakaloo. Les éléphants se précipitaient sur les Hindous avec rage, les levant en l’air avec leurs trompes et les écrasant sous leurs pattes. En quelques minutes, ce fut une déroute complète. Les dernières troupes du radjah, broyées par les éléphants sauvages, fusillées par les troupes de Dalcester et tenues en respect par celles du colonel, furent complètement exterminées.
On sut plus tard, sans jamais se l’expliquer complètement, par quelle merveille d’instinct et d’habileté Bakaloo avait réussi à faire de ses congénères les alliés momentanés de l’armée anglaise.
Après la bataille, il fallut faire partir secrètement miss Emmy et Bakaloo, qu’ils ne voulaient plus abandonner. Le colonel avait défendu sévèrement qu’on fît le moindre mal aux braves animaux et ils retournèrent paisiblement dans leur forêt et dans leur mystérieuse montagne, régalés du contenu de deux fourgons de sucre, que le colonel avait fait décharger à leur intention.
À un mois de là, le mariage de George Dalcester et de miss Emmy était célébré, le même jour que celui de Kate et Mac Dunlop.